Au revoir monsieur le Président

Hommage... très particulier.

Le 2 décembre 2020, l'ex-Président Valéry Giscard d'Estaing nous quittait. Sa mort est un deuil pour la nation française. 

Kroussar, dont la vie fut intimement liée aux événements du Cambodge, lui rend hommage... à sa façon.

Car l'histoire du Royaume est associée, de longue date, à celle de la France et, de fait, aux hommes d'État français. Il y a eu ceux qui voulaient imposer leur diktat, puis celui qui a soutenu le Cambodge, avant que les derniers ne contribuent aux heures sombres du Royaume. Un bref rappel historique s'impose.

Vge

Imposer leur diktat.

En 1858, Napoléon III étend l'empire colonial en Asie du sud-est, et envahit la Cochinchine. À cette époque, le Cambodge est un État vassal, à la fois du Siam et de l'Annam. Le roi Norodom 1er  a de grandes difficultés à asseoir son autorité. Il voit dans l'arrivée des Français une occasion de se libérer de ses tutelles, et sollicite la protection de la France. C'est le début d'un protectorat qui durera près d’un siècle (1863 - 1953) et sera marqué par la répression et l'asservissement du peuple Khmer.

En 1941, les Français choisissent le prince Norodom-Sihanouk, arrière-petit-fils de Norodom, pour succéder au Roi Monivong dont les descendants sont écartés du pouvoir. L'amiral Jean Decoux (gouverneur général de l'Indochine) pense que le jeune roi sera facile à manœuvrer... il s’est trompé.

Début 1953, le Roi Norodom-Sihanouk entame sa croisade pour une indépendance « pleine et entière ». Il essuie un premier refus de la part du Président Vincent AuriolDans le même temps, la France cherche un moyen honorable de mettre un terme à la « sale guerre » en Indochine, et reprend les négociations avec le Cambodge, ce qui permettrait d’envoyer les forces armées sur un autre théâtre d’opérations. Les négociations aboutissent, le 17 octobre, et l’indépendance est officialisée le 9 novembre 1953, alors que les Français misent tous leurs espoirs sur Diên Biên Phu…

Mais l'histoire ne laisse que peu de répits au peuple Khmer. En 1955, la guerre qui débute au Viêt Nam menace la stabilité du Cambodge. Au fil du temps, les troupes sud-vietnamiennes et américaines franchissent la frontière par bataillons entiers, à la poursuite des Viêt-Congs qui cherchent refuge au Cambodge. Sihanouk menace de porter l’affaire devant le conseil de sécurité des Nations unies. Les Américains menacent à leur tour de suspendre leur aide militaire, si les armes et munitions fournies sont utilisées contre les sud-vietnamiens. Le prince répond à cette intimidation en se rapprochant diplomatiquement de la République populaire de Chine et rejoint le mouvement des pays non-alignés (regroupement des États qui se considéraient indépendants des blocs de l'Est et de l'Ouest).

Soutenir le Cambodge.

En 1964, la guerre au Vietnam s'intensifie, le Cambodge réaffirme sa neutralité, mais autorise toujours les Viêt-Cong à pénétrer en territoire khmer pour se ravitailler au port de Sihanoukville. Bien que les États-Unis en aient eu connaissance, le président Lyndon B. Johnson a choisi de ne pas les attaquer en raison d'éventuelles répercussions internationales.

C'est dans ce contexte que le Général de Gaulle, Président de la République française, vient apporter son soutien au Cambodge. Le 1er septembre 1966, au stade olympique de Phnom Penh, il réaffirme son soutien résolu à la politique menée par Norodom-Sihanouk. Une politique d'indépendance, de paix et de non-alignement. Et glisse une phrase lourde de conséquences : « (...) On vit l'autorité politique et militaire des États-Unis s'installer à son tour au Vietnam du Sud et, du même coup, la guerre s'y ranimer sous la forme d'une résistance nationale ». 

Contribuer aux heures sombres du Royaume.

Comme l'avait justement prédit Charles de Gaulle, l'élection de Richard Nixon, en 1968, emporta le Cambodge et tous les pays d'Indochine dans un immense chaos. Le 18 mars 1969, suivant les ordres secrets de Nixon, 59 bombardiers B-52 de l'US Air Force bombardèrent les zones frontalières orientales du Cambodge. 

Les États-Unis voulaient intervenir au Cambodge. Les généraux américains et leurs services secrets étaient persuadés, à tort, que les Viêt-Congs avaient établi leur QG dans un bâtiment fortifié quelque part à l'est de Phnom Penh. Mais Norodom Sihanouk s’y opposait, il fallait donc l'éliminer. Alors la CIA s'engagea à soutenir Lon Nol, anti-communiste convaincu, sur lequel les USA pouvaient compter.

Le 18 mars 1970, tandis que Sihanouk est en déplacement à l'étranger, le Prince Sirik Matak et le général Lon Nol décident de la révocation du chef de l'État. Des agents des forces spéciales américaines apportent leur soutien aux conspirateurs... Démis de ses fonctions de chef d'état, Norodom Sihanouk, en exil à Pékin, appelle le peuple à se soulever contre le régime de Lon Nol, et à rejoindre les Khmers-Rouges ! C'était le 23 mars, cinq jours après le coup d’État fomenté par les Américains.

Ainsi, avec l’aval de Lon Nol, le 29 avril 1970, les blindés, les troupes terrestres et héliportées américaines envahissent la région sud-est du Cambodge, elles sont repoussées par les Viêt-Congs et les Khmers Rouges. Alors, la deuxième vague de bombardements est ordonnée par Richard Nixon, malgré la neutralité du pays. Un crime commis avec l'aval de Lon Nol… (En cinq ans, les États-Unis larguèrent 2 756 941 tonnes de bombes, visant 13 000 villages !)

Après les Américains, ce fut au tour de la France de se distinguer… en mal. Car elle nourrissait de sombres desseins. D'abord, Henri Froment-Meurice, directeur d’Asie-Océanie du Quai d’Orsay et son ami Geoffroy Chodron de Courcel, secrétaire général du ministère. Ensuite, Valérie Giscard d'Estaing et Jacques Chirac, vont contribuer aux heures sombres et chaos du Royaume. 

Tout ce petit monde n’aimait pas la politique du Général de Gaulle. Lorsque ce dernier démissionna, ils purent enfin imposer une nouvelle vision de l’Asie du Sud-Est. Mais d’abord il fallait que les Américains subissent un maximum de pertes et retirent leurs troupes engagées au Vietnam. 

En 1971, Henri Froment-Meurice, Geoffroy Chodron de Courcel et Jacques Chirac réussissent à convaincre Georges Pompidou d’apporter une aide, militaire et financière, aux Khmers-Rouges. Officiellement, l'objectif est de favoriser le retour de Norodom-Sihanouk, mais la version officieuse est d'une autre nature. Car au Quai d’Orsay, on déteste les familles Royales du Cambodge… Objectifs non avoués : 1) déstabiliser Lon Nol, en le rendant vulnérable, en armant et finançant ses opposants, les Khmers Rouges ; 2) favoriser les incursions des Viêt-Congs au Cambodge, au passage les ravitailler et les armer également pour mieux combattre les Américains. La France était capable de tout et encore plus pour défendre ses intérêts, car il y a des moments où la politique passe avant la morale. 

Dès 1974, les officiers de renseignement français, en poste au Cambodge, reçurent pour mission d'aider les Khmers-Rouges à prendre le pouvoir, peu importe les moyens. Les ordres avaient l'aval du nouveau Président Giscard d'Estaing et de son Premier ministre, Jacques Chirac, avec l'objectif inavoué de provoquer l'enlisement des forces américaines.

Ainsi, sous couvert d'aider Norodom Sihanouk, la France empêcha les Américains de gagner leur guerre… au détriment des populations Khmères et Sud-Vietnamiennes, victimes des dégâts collatéraux et des conséquences qui ont suivi.

Mais la France allait encore se distinguer.

Le 17 avril 1975, Phnom Penh capitulait. Après cinq années consécutives de combats acharnés, causant des pertes massives en vies humaines, la destruction de l'économie et la famine, le Cambodge allait renaître sous une république où l'égalité pour tous serait la devise…

Mais, rapidement, des milliers de personnes s'entassèrent dans les rues, ne sachant que faire. D'autres, par centaines, ainsi que des Occidentaux encore présents dans le pays, se dirigèrent vers l'ambassade de France, dernière représentation diplomatique restée ouverte, dernier espoir de refuge.

Des centaines de Cambodgiens, (dont plusieurs responsables du régime venant de tomber, et des membres des familles royales), réussirent à pénétrer. Ils nourrissaient l’espoir d'une protection, mais vivaient leurs derniers instants de liberté, ils ne le savaient pas encore. Car des Français mal intentionnés les dénoncèrent, dans le seul but de récupérer leurs biens et argents...

Ainsi, le 19 avril, les Khmers Rouges exigèrent que tous les anciens membres du gouvernement de Lon Nol réfugiés dans l'ambassade, ainsi que tous les notables khmers n'ayant pas la double nationalité soient expulsés. La France de Giscard d'Estaing et de Chirac ordonna de les livrer à leurs bourreaux. En coulisses, Froment-Meurice et Chodron de Courcel étaient à la manœuvre, les messages échangés, entre le Quai d’Orsay et Phnom Penh, en sont les preuves irréfutables. Au final, tous les Cambodgiens présents dans l'ambassade (+ de 1200) furent expulsés. Cela s'est passé les 20 avril et 22 avril 1975. Alors que plusieurs unités d'hélicoptères de la « Royal Air Force », stationnées à Singapour, se tenaient prêtes à décoller afin de leur porter secours...

Malheureusement, vous connaissez la suite. Le génocide fit plus d'un million de morts... Le régime de Pol Pot (l'Angkar) dura exactement 3 ans, 8 mois et 20 jours.

Le 7 janvier 1979, pour la deuxième fois en moins de quatre ans, Phnom Penh tombe. Les Vietnamiens viennent d'infliger une sévère défaite aux Khmers-Rouges. Dès janvier 1979, dans le plus grand secret, Valéry Giscard d'Estaing rallie les Américains et les Britanniques. Alors que les Occidentaux ont deux possibilités : soit reconnaître la fin du régime de Pol Pot et forcer les Vietnamiens à rentrer chez eux, en mettant une force internationale en place pour empêcher le retour des Khmers Rouges au pouvoir. Soit condamner l'intervention vietnamienne et soutenir les Khmers Rouges. Ils choisissent la seconde option, et soutiennent les Khmers Rouges avec l’aide des Chinois.

Objectif, écraser l'envahisseur et, surtout, de renverser le jeune gouvernement communiste de Phnom Penh… Tout en légitimant un embargo de douze années, via l'ONU (jusqu’en 1991). Sans se soucier un seul instant du sort des six millions de Khmers encore survivants. C'est à ce peuple victime, que Giscard d’Estaing, Brzezinski et Thatcher vont, avec cynisme et violence, imposer le chaos dans un Cambodge moribond, parce que son libérateur, le Vietnam, est communiste et, surtout, soutenu par l'URSS. Privant le peuple Khmer des moyens de subsistance et de santé. Une politique continuée par Mitterrand pendant les onze années qui ont suivi.

Les Chinois, les Français, les États-Unis et les Britanniques sont coresponsables non seulement des décès dus aux bombardements, mais de tous ceux qui moururent de faim, de maladies et d'épuisement, durant toutes les années d’embargo.

Et pour clore ce sujet, permettez-moi de citer John Pilger1 : À moins que la justice internationale ne soit qu'une comédie, ceux qui se sont rangés du côté des Khmers Rouges devraient être appelés à comparaître devant le tribunal de Phnom Penh. Leurs noms devraient pour le moins être inscrits sur une liste de la honte et du déshonneur.

1 : John Pilger : Correspondant de guerre, réalisateur, écrivain. Il a réalisé Year Zero: The Silent Death of Cambodia 1979 et The Betrayal, 1990.

Alors, que votre âme repose en paix, Monsieur le Président. Nous continuerons à vivre avec nos tourments.

KROUSSAR.

 

Pour rappel : le nombre de victimes par périodes, de 1968 à 1997 :

• 1968-1975 : Bombardements de l'US Air Force : 750 000 morts,
• 1968-1975 : Révolution/guérilla avec le soutien de la France et de la Chine : 500 000 morts,
• 1975-1979 : Pol Pot : 1 à 1,5 millions selon les sources,
• 1979-1997 : Invasion vietnamienne, blocus ONU et guérilla : 400 000 morts.

Zones bombardées par l'US Air force de 1968 à 1973.

L'objectif était la piste Ôh Chi Minh... mais les pilotes de l'US Air Force reçurent des coordonnées volontairement erronées. Plus de la moitié du pays disparut sous les bombes.  

Pour en savoir plus sur ces différentes périodes, sur l'histoire méconnue de l'avant et après génocide, vous pouvez lire ce témoignage qui surprend par la force du message qu'il porte. C’est aussi une magnifique histoire d'amours. Amour pour une femme. Amour pour un peuple. 

Cambodge - La longue quête - Kroussar

  • 4 votes. Moyenne 5 sur 5.

Commentaires

  • Georges
    • 1. Georges Le 07/12/2020
    Votre article est presque parfait ! Je trouve que vous n'êtes pas assez dur avec les crimes odieux que commirent tous ces responsables français. Mais j'admire votre courage et incite les visiteurs de ce blog à lire votre témoignage.
  • Un ami, qui te salut
    • 2. Un ami, qui te salut Le 07/12/2020
    Respect monsieur Kroussar, pour votre courage et détermination. Cordialement Pierre.
  • Bang Srèye
    • 3. Bang Srèye Le 07/12/2020
    Bravo et merci, pour ce rappel historique, qui a le mérite de dire les choses clairement.

Ajouter un commentaire